Une exposition met en lumière les femmes surréalistes, oubliées de l’histoire de l’art - Article

Modifié par Manuelslibresidf

"Surréalisme au féminin ?" se tient dans le charmant musée de Montmartre – quartier aujourd'hui touristique mais haut lieu du surréalisme à l'époque, où était, par exemple, installé l'atelier d'André Breton. L'exposition rassemble une cinquantaine d'artistes principalement européennes, et 150 œuvres en un inventaire non-exhaustif.

Cette exposition originale n'est pas présentée de façon chronologique mais propose plutôt des assemblages thématiques d'œuvres par constellations. Les pièces choisies dépassent parfois les bornes du mouvement surréaliste, en tant que tel, avec la publication du Premier Manifeste du surréalisme par André Breton en 1924 et la dissolution officielle du groupe en 1969.

Cette élasticité à l'égard du mouvement permet de montrer les œuvres d'artistes remarquables et de présenter leurs créations dans toute leur complexité, dans ce qui les a rapprochées du surréalisme et ce qui parfois les en a éloignées.

Des artistes méconnues, actrices majeures du surréalisme

Cette exposition a le grand mérite de proposer un autre regard sur le surréalisme, que l'on connaît souvent par le travail de Breton, d'Aragon ou encore de Dalí, et de mettre sur le devant de la scène des artistes pour beaucoup inconnues. Ce mouvement avait pourtant offert un cadre d'expression aux femmes sans équivalent par rapport aux autres mouvements d'avant-garde.

Alors que quelques figures d'artistes femmes avaient notamment participé aux grandes expositions surréalistes de l'époque, elles ont ensuite été effacées, oubliées, invisibilisées en somme des musées, du marché de l'art, et de l'histoire de l'art, par une absence notable dans la production universitaire.

Leurs œuvres, pour le moins remarquables, étaient tombées aux oubliettes, ou plutôt disséminées à droite à gauche, d'où le travail d'enquête important des commissaires de l'exposition – Alix Agret et Dominique Païni. Ils expliquent qu'ils ont dû fouiner et se tourner parfois du côté des collectionneurs privés, pour dénicher ces pépites.

Ces femmes, pour certaines, n'auraient pas voulu être exposées sous cette bannière "surréalisme", ou rassemblées dans une exposition en fonction de leur genre, se considérant comme des artistes avant tout, refusant d'être réduites à leur identité féminine. Mais il fallait bien les faire sortir de l'ombre dans un premier temps, avant qu'un jour, on l'espère, elles ne soient exposées sans distinction parmi les artistes hommes.

Ni muses, ni soumises

Les hommes surréalistes ont voulu que les femmes soient partie prenante du mouvement mais en les traitant souvent comme des muses, ou des enfants, alors qu'elles étaient des artistes à part entière, tout aussi talentueuses, tout aussi créatives et novatrices.

Leonora Carrington (1917-2011), artiste britannique farouchement libre et anticonformiste, ne voulait pas de ce statut de muse comme elle l'écrivait : "Je n'ai pas eu le temps d'être la muse de qui que ce soit... J'étais trop occupée à me rebeller contre ma famille et à apprendre à être une artiste", ou encore Lee Miller (1907-1977), artiste américaine qui exprimait aussi cette idée : "Je préférerais prendre une photo que d'en être une." Par leurs œuvres, elles ont subverti l'idéalisation surréaliste de la "femme-muse", en détournant la fétichisation de leur corps, comme l'œuvre "Maîtresse" de 1995, de Mimi Parent (1924-2005) – audacieuse et singulière artiste fidèle au surréalisme durant toute son existence –, sorte de fouet sadomasochiste, s'appuyant sur le jeu de mots "maîtresse/mes tresses".

Leur soif d'indépendance et de liberté est aussi passée dans leur œuvre par une revendication du plaisir, en se dépeignant avec des identités multiples, en faisant la part belle à toutes sortes de métamorphoses et d'êtres hybrides, fusion parfois du végétal, de l'animal et du minéral.

Certaines se sont senties étouffées et ont quitté le surréalisme, dans un acte tout à fait surréaliste, tout en d'une certaine manière le prolongeant, même au-delà de sa dissolution en 1969, car l'esprit surréaliste a dépassé les organisations bien souvent masculines qui l'incarnent.

Des femmes qui interrogent le genre et la norme

Dans "Un tableau très heureux" (ci-dessous), en 1947, Dorothea Tanning, l'une des surréalistes les plus connues, caricature le cliché du voyage de noces, et écorche au passage le couple marital comme idylle.

Les femmes surréalistes tentèrent de bannir la hiérarchie entre les genres et entre les orientations sexuelles. Certaines d'entre elles étaient lesbiennes et amantes, quand d'autres étaient en couple avec des figures du surréalisme, mais presque toutes se sont interrogées sur le genre. Leur art était vecteur de questionnements sur le fait d'être femmes, avec par exemple la présence de chevelure, de bouches rouges, ou encore de poitrine, comme sur l'affiche de l'exposition.

Claude Cahun, précurseuse et inclassable dans le domaine artistique – exposant objets, photographies et créant aussi des textes poétiques et théoriques – l'était en fait dans l'ensemble de sa vie. Figure queer avant l'heure, en couple avec l'artiste Suzanne Malherbe, dite Marcelle Moore, elle a mis en scène des créations photographiques avec une certaine ambiguïté, utilisant son corps, multipliant les travestissements et brouillant son identité de genre et sexuelle.

Le surréalisme sur tous les supports

De même que certaines femmes surréalistes firent fi de la hiérarchie entre les genres, elles refusèrent également la hiérarchie entre les pratiques artistiques. Le mouvement surréaliste est protéiforme, et son inventivité ne se cantonne à aucune forme d'art. Les femmes surréalistes ne font pas exception. Beaucoup d'entre elles étaient aussi poétesses, et leur parcours artistique est ponctué par des écrits.

Le lien avec le cinéma est également fort. Pour exemple, Maya Deren (1917-1982), cinéaste majeure de l'expérimentation américaine des années 1940, a réalisé beaucoup de films faisant la part belle à l'inconscient, et à des rêves oniriques, s'appuyant aussi sur des concepts de la psychanalyse. L'on sait qu'elle a rencontré Breton et Duchamp à New York en 1943 mais est restée sa vie durant méfiante à l'égard de ce mouvement. Même si des thématiques la rattachent à ce courant, elle niera toujours son appartenance au surréalisme.

En dehors des films, la danse était aussi omniprésente en tant que spectacle, et des femmes performaient dans des cabarets à Montmartre. Beaucoup d’expositions surréalistes étaient aussi ouvertes par des danses d'artistes comme Hélène Vanel ou encore Sonia Mossé.

Dans l'exposition, les peintures sont grandement majoritaires mais on peut aussi admirer des sculptures. Est aussi proposée une broderie de Mimi Parent, artiste française d'origine québécoise incontournable du mouvement. Dans son œuvre "Broderie sur tissu", qui est un ouvrage de dame par excellence, elle détourne l'aspect ornemental pour proposer une œuvre subversive, avec une symbolique érotique forte, sur laquelle on voit une femme dont la main, également tête d'animal, est un outil de masturbation.

Du surréalisme à l'abstraction

Pour certaines de ces femmes, leur art a été fertilisé au contact du mouvement surréaliste, mais elles sont ensuite parties dans d'autres directions, comme celle de l'abstraction, alors que les hommes surréalistes étaient peu enclins à s'éloigner de la figuration. Certaines ont aussi expérimenté les frontières poreuses entre architecture et sculpture, allant jusqu'à l'abstraction, comme Isabelle Walberg, avec ses constructions abstraites en tiges mi-abstraites mi-architecturales.

La peintre française Yahne Le Toumelin, artiste aujourd'hui centenaire, dont les œuvres avaient toute l'admiration d'André Breton, s'est quant à elle, à un moment donné, bien éloignée de la figuration. Pour Dominique Païni, commissaire de l'exposition, elle est encore trop peu reconnue à sa juste valeur et devrait avoir les égards et la présence médiatique d'un peintre comme Pierre Soulages.

Jacqueline Lamba, deuxième épouse d'André Breton, peint quelques années avant de le rencontrer "La Femme Blonde" (ci-dessous), pièce phare de cette exposition. Cette artiste, qui jouait aussi la sirène en dansant nue dans des aquariums, donne à voir dans ce tableau une figure humaine qui va vers l'abstraction, avec une chevelure devenant mer, et un nuage qui semble menaçant.

Comme l'écrivait Eileen Agar, peintre et photographe anglaise, le surréalisme n'était pas non plus incompatible avec l'abstraction : " [...] nous marchons tous sur deux jambes, et pour moi, l'une est abstraite, l'autre surréaliste – c'est le point et le contrepoint."

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/francais-seconde ou directement le fichier ZIP
Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0